Page 33 - PetiteJeanne
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«Il n'y a jamais rien de prêt ici, dit-il pendant que Jeanne se dépêchait de mettre le couvert; demandez-
moi ce qu'elles ont fait depuis le matin!»

Solange murmura, mais Jeanne ne répondit pas, et prit le broc pour aller tirer à boire. Quand elle fut
partie, la maîtresse dit:

«Tu seras donc toujours bourru, grand Louis! tu ne changeras donc pas! Regarde un peu: y a-t-il une
maison où les cuillers et les fourchettes soient plus claires qu'ici? on dirait que c'est de l'argent. As-tu
vu quelque part des verres plus nets, du linge plus blanc, une maison plus propre? Vois s'il y a un seul
grain de poussière sur les meubles, une seule toile d'araignée aux soliveaux! Tout n'est-il pas clair à se
mirer dedans? Qui est-ce qui tient tout en état, si ce n'est la petite Jeanne? L'as-tu vue quelquefois
perdre son temps? Avant qu'elle vînt remplacer Marie, je me tuais, et jamais rien n'était fini; à présent
je ne prends plus grand'peine, et tout va bien. Il n'y a que toi au monde pour te plaindre d'une fille
pareille! Qui donc t'a raccommodé ta blouse et ton pantalon pendant que tu faisais le beau à Meunet,
l'autre jour, hein? ce n'est pas moi, bien sûrement.»

Jeanne rentra; les laboureurs se mirent à table; grand Louis dîna sans mot dire, lui qui d'ordinaire
parlait tant. Après les laboureurs, ce fut le tour des petits pâtres. Jeanne secoua la nappe, rinça les
verres et leur coupa du pain.

                       Maître Tixier veut que Jeanne achète un morceau
                                                 de vigne.

Un dimanche que Jeanne servait son maître qui soupait seul à sa petite table, pendant que les autres
hommes, grands et petits, mangeaient ensemble, il lui dit:

«Petite Jeanne, l'argent ne vaut rien à garder. Voilà Gerbaud qui vend le bien de sa défunte tante la
mère Nannette; tu sais qu'elle avait un joli quartier de vigne dans les Hautes-Roches, tout contre la
mienne; si tu veux m'en croire, je te l'achèterai.

--Comme vous voudrez, notre maître, répondit Jeanne, qui pleurait toutes les fois qu'elle entendait
prononcer le nom de sa chère mère Nannette; mais il faut pourtant de l'argent tous les ans pour les
façons et du fumier pour les provins.

--Qu'est-ce que tu dis donc là, petite Jeanne? Est-ce qu'en bêchant mon arpent on ne donnera pas un
coup de pioche à ton quartier? est-ce qu'en menant du fumier à ma vigne on n'en pourra pas laisser un
brin devant la tienne? Nous les vendangerons toutes les deux ensemble; notre cuve est bien assez
grande pour tenir le tout, et tu auras le profit de la vigne tout net: ça ne fait pas de mal à une jeunesse,
pour se marier, que d'avoir un bout de bien au soleil!

--Notre maître, vous êtes trop bon pour moi: je ne suis pas pressée de me marier; si vous ne me
renvoyez pas, je ne vous quitterai jamais.

--Te renvoyer, ma Jeanne! dit la maîtresse; ah! si tu ne quittes la maison que quand je t'en mettrai
dehors, tu es bien sûre d'y mourir.

--Eh bien, c'est entendu, dit maître Tixier. On fait la criée d'aujourd'hui en huit; j'irai, et je t'achèterai le
quartier des Hautes-Roches.»

Le dimanche suivant, il dit à Jeanne: «Ma fille, c'est fini; jeudi, en allant au marché, je te conduirai
chez le notaire pour signer l'acte, puisque tu sais écrire; j'ai eu bien de la peine à l'avoir, ce quartier-là;

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