Page 31 - PetiteJeanne
P. 31

--Mon Dieu non! ce n'est pas là ce qui me fait pleurer; c'est que je pense à la mère Nannette, qui
m'aimait tant.

--Apaise-toi donc, va! la maîtresse est une bonne femme qui t'aimera bien aussi.»

Quand la charrette arriva au Grand-Bail, les pâtres et les bergères étaient rangés devant la maison pour
voir descendre Jeanne. Le charretier, qu'on appelait grand Louis, déchargea les meubles à la porte de la
boulangerie: on l'aida à monter le ciel du lit; puis, quand tout fut rangé, chacun s'en alla à son ouvrage,
et Jeanne entra dans la maison, où elle trouva maître Tixier tout seul avec sa femme.

                           SECONDE PARTIE.

                         JEANNE EN SERVICE.

                        Jeanne donne son argent à garder à son maître.

«Notre maître, dit Jeanne en entrant, j'ai deux cent cinquante francs, que je ne voudrais pas garder dans
mon coffre; si vous vouliez me les serrer avec votre argent, je vous serais bien obligée.»

Et elle tira de sa poche le vieux bas de laine bleue qui avait servi de bourse à la mère Nannette, et le
posa sur la table. Maître Tixier le vida et compta l'argent.

«Il y a bien cinquante bons écus de cinq francs, ma foi! dit-il; je vais te les garder, ma fille; mais d'où
te vient donc tout cet argent-là?»

Jeanne raconta comment maître Gerbaud avait partagé avec elle l'argent de sa tante et la pièce de toile
qu'on avait trouvée dans l'armoire, et comment il lui avait donné cette armoire pour mettre son linge.

«Je connais un peu ce Gerbaud pour m'être trouvé quelquefois en foire avec lui; je ne l'aurais pas cru si
généreux; quand je le rencontrerai, je lui donnerai une poignée de main.»

Jeanne se mit promptement au fait de son ouvrage; et, comme elle était habile et courageuse, elle avait
toujours le temps de coudre après avoir fait le ménage. La maîtresse lui disait quelquefois:

«Jeanne, tu ne me laisses rien à faire. Je vais devenir fainéante. Je ne sais pas vraiment comment tu
t'arranges; mais tu as du temps pour tout, et il t'en reste encore pour faire l'ouvrage des autres. Est-ce
que tu crois que je ne te vois pas tous les soirs aider à cette grande sotte de bergère, qui n'en a jamais
fini? J'entends que tu profites de ton temps pour toi, et que tu fasses tes chemises de la toile que
Gerbaud t'a donnée; tu te charges toujours de l'ouvrage de mes filles, et ce n'est pas juste. J'ai mis avec
toi Solange, parce que c'est la moins raisonnable, quoique l'aînée; tâche donc de me la rendre bonne et
laborieuse comme toi.»

                                    Grand Louis se met en colère.

Grand Louis le laboureur, qui n'était pas mauvais au fond, avait l'humeur difficile; rien ne le contentait;
on avait beau faire, il ne trouvait jamais rien de bon. Les filles et les servantes de la maison ne

                                                                                                                         30
   26   27   28   29   30   31   32   33   34   35   36