Page 30 - PetiteJeanne
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--Monsieur le curé, je ne me placerai pas en ville; ma chère défunte me l'a défendu, et, quoiqu'elle ne
soit plus de ce monde, je veux toujours lui obéir.
--Puisque vous voulez rester à la campagne, j'irai voir la fermière du Grand-Bail; sa servante se marie
dans trois semaines: si elle n'a personne encore, je vous y mènerai demain.
--Grand merci, monsieur le curé; ce sont de braves gens, et je serai bien contente d'être chez eux.»
Quand Jeanne fut toute seule, elle soigna la chèvre et les oies comme à l'ordinaire; elle remit dans
l'armoire tout ce qu'on en avait tiré, puis elle courut chez Mmes Dumont: elle leur dit tout en pleurant
qu'on devait parler pour elle à la mère Tixier, fermière du Grand-Bail.
«Elle te prendra bien, ma bonne Jeanne, dit Sophie, qui était mariée depuis deux ans: elle nous a
souvent entendues parler de toi, et elle sera bien heureuse de t'avoir dans sa maison, où tu seras comme
de la famille. Console-toi donc un peu! est-ce que nous ne te restons pas?
--Sans vous, qu'est-ce que je deviendrais donc? aussi je vous serai reconnaissante toute ma vie.»
Le lendemain, M. le curé mena Jeanne au Grand-Bail, comme il l'avait promis. La maîtresse l'accepta
tout de suite à cause de sa bonne renommée: elle lui offrit dix écus jusqu'à la Saint-Jean.
«Mère Tixier, vous ne pouvez pas donner moins de douze écus à cette fille; elle les gagnera bien, je
vous le promets.
--Je ne vous contredirai pas, monsieur le curé, elle aura douze écus. Quand viendras-tu, petite Jeanne?
--Maître Gerbaud arrive demain matin pour vendre les effets de sa tante; je voudrais bien ne pas me
trouver là, j'en aurais trop de chagrin. Si vous pouvez m'envoyer chercher avant midi, je serai bien
contente. J'ai mon lit, mon coffre et l'armoire de la mère Nannette; pourrez-vous me les loger?
--Oui; il n'y a pas de lit dans la boulangerie; on y mettra le tien, et tu y seras toute seule, à moins
pourtant que tu ne prennes avec toi l'une de mes trois filles, qui couchent dans un même lit et se
disputent souvent.
--Je le veux bien, maîtresse; vous donnerez avec moi celle que vous voudrez.»
Jeanne quitte la maison de la mère Nannette.
Dès le matin du jour suivant, Gerbaud amena sa femme dans une carriole d'osier; le meunier le suivait
avec une grande voiture pour emporter le blé, le vin et tout le reste. Alors on vida l'armoire, et la
femme de Gerbaud mit de côté ce qu'elle voulait garder. On s'occupa de charger la grande voiture.
Jeanne était sortie pendant qu'on déménageait, pour ne pas montrer son chagrin à des étrangers, ne
pouvant supporter le séjour de cette maison depuis qu'elle n'y voyait plus la mère Nannette. Elle
aperçut de loin venir la charrette du Grand-Bail, et, comme ses paquets étaient faits d'avance, elle les
apporta devant la porte: ses rideaux étaient démontés et pliés bien proprement. Le charretier, qui était
grand et fort, chargea tout seul les meubles de Jeanne. Elle dit adieu à maître Gerbaud et à sa femme,
après les avoir bien remerciés; embrassa aussi ses voisines, qui s'étaient rassemblées devant la porte
pour la voir partir, et enfin monta dans la charrette. Quand elle quitta le bourg et qu'elle vit disparaître
au détour du chemin la maison de la mère Nannette, elle ne put s'empêcher de pleurer bien fort.
«Est-ce que tu es fâchée de venir chez nous, petite? dit le charretier.
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