Page 29 - PetiteJeanne
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On ouvrit l'armoire, et l'on en tira d'abord les huit draps de Jeanne, qui étaient marqués à son nom. En
bouleversant tout, on trouva, derrière un paquet de vieux linge, cent pièces de cinq francs, dans un bas
bleu qui servait de bourse à la mère Nannette.

«Je crois, dit Gerbaud, qu'il y a longtemps que le premier écu a été mis au fond de cette bourse; car ma
tante avait bien juste de quoi vivre.

--Mais elle était si ménagère, dit une voisine, et elle travaillait tant!»

Gerbaud prit deux cent cinquante francs, qu'il donna à Jeanne.

«Non, maître Gerbaud, pas tant que ça; je n'ai pas pu gagner une si grosse somme.

--Petite, j'ai dit que tu aurais la moitié de l'argent, et je n'ai qu'une parole: ainsi, tu vas prendre cette
somme; et, comme c'est toi qui as filé cette pièce de toile qui n'est pas encore entamée, tu en auras
aussi la moitié pour ta peine; tu t'en feras des chemises.

--Vous êtes trop bon, dit Jeanne, pour une pauvre fille que vous ne connaissez seulement pas.

--Je ne suis pas plus mauvais qu'un autre, quoique ma tante m'ait gardé rancune, parce qu'autrefois j'ai
eu noise avec son mari.

--Et où vas-tu donc mettre tout ça? dit une voisine; ton coffre est trop petit; puis il est si vieux qu'il
pourrait bien se défoncer.

--Allons! je vais aussi lui donner l'armoire, et je n'en serai pas plus pauvre.

--Au contraire, Gerbaud, dit M. le curé, vous faites là une bonne action qui vous donnera plus de
contentement que vous n'en auriez eu en gardant tout ce que vous cédez si généreusement à Jeanne.»

Tout le monde dit que Gerbaud était un brave homme et qu'il se comportait bien.

«Écoute, Jeanne, dit-il avant de partir, je n'affermerai pas la maison avant Noël; tu peux y rester
jusque-là si ça t'arrange. Je te laisse tout le ménage avec la chèvre et les oisons; je vais emmener la
vache seulement. Je viendrai après-demain avec ma femme, qui choisira ce qu'elle veut garder, et nous
vendrons le reste.»

Après avoir dit cela, il mit dans sa poche l'argent qui lui appartenait, et alla chercher la vache à l'étable.
Tout le monde sortit en même temps que lui, à l'exception de M. le curé, qui resta avec Jeanne.

                               M. le curé trouve une place à Jeanne.

«Qu'allez-vous faire maintenant, Jeanne? dit M. le curé.

--Je vais tâcher de me placer au plus vite; car, si je restais longtemps seule dans cette maison, je sens
bien que le chagrin me rendrait malade.

--Voyons, Jeanne, il faut être raisonnable: la mère Nannette est plus heureuse que nous maintenant;
elle veillera sur vous. Dieu ne veut pas qu'on s'abandonne ainsi à son chagrin. Si vous voulez vous
placer en ville, Mmes Dumont vous trouveront une bonne maison où vous aurez de forts gages.

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