Page 38 - PetiteJeanne
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--Il faut appliquer une compresse de persil trempé dans du vin vieux, dit le garde, ça empêchera le sang
de couler.

--Non, du tout, répondit Jeanne; il faut toujours laisser saigner une plaie avant de la panser. Tenez,
voilà qu'il n'est déjà plus si pâle; il faut lui faire un peu d'eau sucrée avec de la fleur d'oranger.»

Joséphine prit la clef dans la poche de sa mère, et donna ce que Jeanne demandait.

M. le curé arriva au moment où le petit marchand ouvrait les yeux: il trempa une compresse dans de
l'eau fraîche, où il mit trois ou quatre gouttes de teinture d'arnica, et il banda le front du blessé, qui se
l'était fendu depuis le sourcil gauche jusque dans les cheveux du côté droit. On lui fit boire de l'eau
sucrée, et on lui demanda comment il se trouvait.

«Il me semble que tout tourne devant moi, dit-il; et il retomba dans sa faiblesse.

--Maître Tixier, dit M. le curé, il faut garder ce pauvre garçon chez vous jusqu'à ce qu'il puisse
continuer sa route; je crains bien qu'il n'ait de la fièvre demain; je viendrai le voir dès le matin.»

Le lendemain, trouvant un peu de fièvre au colporteur, M. le curé ne lui permit pas de se lever de toute
la journée. Il lui demanda son âge et de quel pays il était.

«J'ai seize ans et je suis de Paris, monsieur.

--Dites-moi donc comment vous avez fait pour tomber; car rien n'embarrassait la porte, et vous
pouviez bien passer au milieu sans heurter ce morceau de bois.

--Monsieur, c'est que je me pressais trop de sortir.

--Et pourquoi donc tant vous presser, quand, au contraire, vous eussiez mieux fait d'attendre, puisque
vous aviez l'occasion de vendre votre marchandise?»

Le jeune homme ne répondit pas et rougit beaucoup, ce que le curé vit bien; mais il ne lui adressa
aucune observation à ce sujet.

                                Le colporteur ne sait plus sa prière.

Au bout de deux jours, M. le curé permit au colporteur de se lever, et lui dit de remercier Dieu, qui
l'avait sauvé d'une mort presque certaine.

«Vous savez bien votre prière, n'est-ce pas, mon enfant?»

Le pauvre garçon baissa la tête sans mot dire.

«Monsieur, quand j'étais tout petit, ma mère ne manquait jamais de me faire prier matin et soir; mais je
l'ai perdue à huit ans, et depuis ce temps-là personne ne s'est occupé de moi.

--Alors, vous n'avez pas fait votre première communion?

--Si, monsieur; je l'ai faite à onze ans avec les autres enfants de ma paroisse; mais depuis je n'ai plus
pensé à tout cela.

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