Page 28 - PetiteJeanne
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Jeanne se mit à genoux au pied du lit et lut les prières des morts; de temps en temps elle se levait pour
embrasser la défunte, puis elle continuait ses prières en pleurant. Elle fit la veillée du corps en
compagnie des deux bonnes voisines qui ne voulurent pas la quitter.
On enterre la mère Nannette.
Comme la mère Nannette avait été une honnête femme, bien obligeante, tout le monde du bourg,
jusqu'aux petits enfants, vint, le lendemain matin, la voir sur son lit de mort et lui apporter des
bouquets d'herbes fortes. Quoique Jeanne pleurât toujours, elle présentait le buis à tous ceux qui
voulaient jeter de l'eau bénite sur le corps. Vers midi, le charpentier apporta la bière, et Jeanne, aidée
de ses deux voisines, y plaça le corps après l'avoir embrassé une dernière fois. Pendant qu'on clouait le
couvercle, la pauvre fille criait sans pouvoir se retenir. On mit la bière devant la porte; alors le maire
entra avec maître Gerbaud, neveu et héritier de la défunte, et la maison s'emplit de monde. Jeanne, la
tête enfoncée dans sa capote, pleurait dans un coin. M. le curé vint avec la croix, et l'on partit pour
l'église. La pauvre fille n'aurait pas pu suivre l'enterrement si les voisines ne l'eussent soutenue.
Après la cérémonie, on la ramena dans la maison, où le maire et Gerbaud étaient déjà rendus. M. le
curé ne tarda pas à les y rejoindre.
«Maître Gerbaud, dit-il, cette fille a son lit et son coffre, tout le monde le sait; vous les lui laisserez
bien emporter?
--Elle a aussi huit draps tout neufs dans l'armoire de la défunte, dit une des voisines; je les lui ai vu
faire et marquer à son nom.
--La mère Nannette avait l'argent de Jeanne, ajoute M. le curé. La pauvre femme m'a souvent dit
qu'elle la ferait son héritière; mais, comme elle n'a pas laissé de testament, vous usez de votre droit:
c'est juste.
--Monsieur le curé, dit Gerbaud, je ne veux rien prendre à cette fille: qu'elle me dise combien d'argent
elle a remis à ma tante, et je le lui rendrai tout de suite avec ses draps.
--Voyons, Jeanne, dit le maire, quelle somme avez-vous confiée à la mère Nannette?
--Monsieur, je serais bien en peine de le dire; à mesure que je gagnais quelque chose, je le donnais à
ma chère mère, et je ne lui ai pas demandé de compte, bien sûrement. Maître Gerbaud, vous pouvez
tout garder; la pauvre femme a bien assez fait pour moi sans que je réclame encore quelque chose;
d'ailleurs, j'ai la force de travailler, et je ne crains pas l'ouvrage.»
Maître Gerbaud se pique de générosité.
M. le curé dit que Jeanne agissait et parlait en honnête fille, et que Gerbaud ne voudrait certainement
pas qu'elle fût dupe de sa probité.
«Non, monsieur le curé, elle ne sera pas dupe avec moi: ils disent tous qu'elle a soigné ma pauvre tante
aussi bien que si c'eût été sa propre fille; et, pour lui prouver que je lui en sais bon gré, nous
partagerons par moitié l'argent qui se trouvera. Qu'en dites-vous? est-ce bien comme ça?
--Oui, Gerbaud, c'est bien.»
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