Page 37 - PetiteJeanne
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Jeanne retira sa main et s'en retourna à la maison.
Grand Louis travaille à la vigne de Jeanne.
Après les semailles de mars, maître Tixier dit un soir:
«Mes enfants, il faut conduire du fumier aux vignes demain matin, et puis nous irons les piocher.»
Le lendemain, quand ils furent dans les Hautes-Roches, grand Louis se mit tout de suite à la vigne de
Jeanne, pendant que les autres travaillaient à celle du maître, et il n'y épargna pas le fumier. Vers midi,
Jeanne apporta le goûter, et maître Tixier, qui était avec elle, dit en voyant l'ouvrage de grand Louis:
«Ho! ho! comme tu y vas! c'est travaillé comme dans un jardin, et la terre est si bien égrenée qu'on
dirait qu'elle a été passée au crible; mais n'aie pas peur, ce n'est pas un blâme que je te donne: la petite
Jeanne mérite bien ça.»
Jeanne remercia grand Louis par un regard si doux, qu'il se sentit le coeur tout joyeux.
Il arrive un colporteur au Grand-Bail.
Un dimanche, pendant les vêpres, Jeanne était seule auprès de la mère Tixier, qui ne bougeait plus
guère de son fauteuil; elle vit entrer un jeune colporteur qui lui offrit des images et des livres:
«Achetez-moi donc quelque chose, s'il vous plaît, dit-il; voilà le grand saint Martin, le grand
Napoléon! voyons, ma jolie brune, voulez-vous des almanachs de l'année?
--J'en prendrai peut-être un s'ils ne sont pas trop barbouillés; car ordinairement ils sont si mal imprimés
qu'il est impossible de les lire.»
Le marchand en présenta un à Jeanne; il lui convint, et elle l'acheta. Pendant qu'elle le feuilletait, il
ouvrit sa boîte, et en tira de vilaines images qu'il se disposait à lui faire voir, quand on entendit tout le
monde revenir.
«Ah! dit Jeanne, voilà le garde champêtre qui vient avec maître Tixier.»
En entendant cela, le petit colporteur referma bien vite sa boîte, après y avoir remis les images.
«Pourquoi donc tant vous presser? lui dit Jeanne; les autres vous achèteront peut-être quelque chose.»
Il ne l'entendit pas, et sortit en courant; mais il s'embarrassa le pied dans un morceau de bois qui était
auprès de la porte, et il tomba de toute sa hauteur. Sa tête porta sur une grosse pierre carrée qui servait
de banc, et il se la fendit si dangereusement qu'on le crut mort sur le coup. Grand Louis l'enleva dans
ses bras et le porta sur un lit dans la maison; toutes les filles se mirent à pleurer, pendant que Jeanne
lavait la plaie et faisait respirer du vinaigre au blessé.
Jeanne envoie chercher M. le curé.
«Grand Louis, dit Jeanne, courez vite chez M. le curé; il s'entend à toutes sortes de maux, et soulagera
ce pauvre garçon, s'il est possible.
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