Page 23 - PetiteJeanne
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--Oh! non, madame. Je ne suis pas riche, mais il y aura bien assez de pain ici pour nous deux.
D'ailleurs, la voilà en âge de me rendre des services qui me payeront sa nourriture.
--Mère Nannette, il faut continuer d'envoyer Jeanne à la maison; mes filles lui apprendront à écrire et à
faire toutes sortes d'ouvrages. Je me charge de son entretien; ainsi vous n'aurez rien à dépenser pour
elle.
--Que le bon Dieu vous conserve, ma chère dame! En apprenant à Jeanne à travailler, vous ferez plus
que moi pour elle: vous lui mettrez le pain à la main pour toute sa vie.
--Mère Nannette, voici quinze francs pour faire enterrer cette pauvre femme; il ne faut pas que ces
frais-là retombent à votre charge.»
Docilité et intelligence de la petite Jeanne.
Quelques jours après la mort de sa mère, Jeanne alla chez Mme Dumont; on lui mit des bas et un fichu
noirs pour qu'elle portât le deuil. Le dimanche suivant, Sophie l'habilla tout en noir.
La pauvre enfant était bien triste; elle pleurait toujours en pensant à sa mère; ses yeux étaient rouges et
gonflés; elle ne disait rien et ne mangeait presque pas. On la trouvait souvent à genoux, priant Dieu. La
mère Nannette craignait qu'elle ne tombât malade; mais, comme elle n'avait que huit ans bien juste,
elle finit par oublier un peu. Elle continua d'aller chez Mme Dumont, et elle apprenait très-vite tout ce
qu'on lui montrait. Les deux jeunes demoiselles, en la trouvant si docile et si travailleuse, s'attachèrent
à elle de plus en plus. M. le curé, qui la voyait toujours sage à l'église, lui donnait de temps en temps
de belles images. Quand elle sut bien lire, il lui fit cadeau d'un petit livre d'heures, ce qui la rendit fort
contente.
A l'âge de douze ans, elle lisait et écrivait bien; elle faisait toutes sortes d'ouvrages avec beaucoup
d'adresse. La mère Nannette lui avait appris à filer; et déjà son fil était plus fin que celui des autres
fileuses du bourg, parce qu'elle était bien attentive à ce qu'elle faisait.
La petite Jeanne fait sa première communion.
Il y avait déjà un an que Jeanne allait à l'instruction de la paroisse avec les autres enfants, quand M. le
curé lui donna un Catéchisme et une Histoire sainte pour qu'elle les apprît par coeur. Mme Dumont,
qui lui en faisait réciter un chapitre tous les jours, était charmée de son intelligence et de sa mémoire.
Jeanne écoutait très-attentivement toutes les explications: aussi était-elle, avec Isaure, celle qui
répondait le mieux au catéchisme; et M. le curé les citait toutes les deux comme un exemple à suivre,
tant elles avaient bonne tenue à l'église. On ne les voyait jamais ni causer ni tourner la tête au moindre
bruit, comme plusieurs autres enfants: elles priaient Dieu de si bon coeur, que ceux qui les voyaient en
étaient émerveillés.
Quand M. le curé admit les enfants à faire leur première communion, il mit Jeanne et Isaure à la tête
des autres petites filles, parce qu'elles étaient les plus instruites et les plus sages: elles n'en furent pas
pour cela moins modestes et moins humbles.
Enfin le grand jour arriva. Dès la veille, Mme Dumont avait retenu Jeanne, et elle l'avait même fait
coucher au château, pour qu'elle eût moins de distractions que dans le bourg. Le matin, Sophie lui
apporta une robe blanche et le reste de la toilette entièrement neuf, afin que, dans ce beau jour, elle
n'eût rien de vieux sur elle; elle lui dit que sa mère voulait la récompenser ainsi de sa bonne conduite.
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