Page 104 - PetiteJeanne
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--Ma mère, je ne me marierai que pour demeurer avec vous.

--Ma fille, Jean Jusserand veut bien vivre dans notre maison et cultiver notre bien: mais il ne faut pas
penser à moi dans une affaire si importante; je veux que tu me dises, comme devant Dieu, s'il te
convient.

--Oui, ma mère, dit Nannette en rougissant; Jean est plus doux et bien mieux appris que les autres
garçons du bourg; mais je n'oserai jamais dire à madame, qui est si bonne pour moi et que j'aime tant,
que je vais la quitter.

--J'irai te reconduire.

--Embrasse-moi, ma Nannette, dit Solange; tu ne sais pas comme je serai contente de t'avoir pour bru,
moi qui dois tout ce que je vaux à ta mère!»

                    Jeanne annonce le mariage de Nannette à Mme Isaure.

Jeanne s'habilla et donna aussi ses beaux habits à Louis, qui n'en était pas trop content.

«Mon enfant, c'est pour aller voir ta marraine.»

Il se laissa faire sans rien dire, parce qu'il se sentait heureux auprès de sa marraine. En passant dans
son jardin, il cueillit ses plus belles roses et il les donna à Mme Isaure, puis il vint se coucher à ses
pieds et ferma les yeux comme s'il dormait.

«Excusez-le, madame: le pauvre petit comprend que vous êtes bonne pour lui, et il ne se gêne pas plus
qu'avec moi.

--Laisse-le donc faire, Jeanne. Mais comme tu es belle! Qu'as-tu donc à me dire?

--Madame, il m'en coûte un peu de vous parler de ce qui se passe, quoique pourtant je sois sûre que
vous ne vous en fâcherez pas. Il se présente un bon parti pour Nannette, qui est en âge de se marier, et
je crois qu'elle aurait tort de le refuser.

--Comment, Jeanne, tu veux m'ôter Nannette, qui m'est si utile pour ma fille que je lui confie avec la
plus grande sécurité!

--Madame, Nannette ne trouvera jamais un autre homme comme Jean Jusserand, de votre métairie des
Ormeaux. Il est riche, il est d'un bon naturel, il est mieux élevé que ne le sont d'ordinaire les paysans;
enfin il a tout pour lui! puis, il veut bien demeurer avec nous et cultiver nos terres, et je suis sûre qu'il
ne brutalisera jamais la pauvre créature qui dort à vos pieds. Vous comprenez, madame, que c'est une
grande chose que celle-là, pour moi qui ne suis occupée que de ce pauvre enfant!

--Il me semble, Jeanne, qu'à ta place j'aurais voulu mieux que cela pour Nannette, qui ne me paraît pas
faite pour vivre à la campagne, je pensais que quelque jour elle se marierait à un bon ouvrier de la
ville.

--Madame, dit Nannette, je ne connais que deux maisons où je puisse vivre: la vôtre et celle de ma
mère. Si je n'avais pas trouvé un homme qui voulût demeurer avec elle, je n'aurais pas quitté votre
service.

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