Page 103 - PetiteJeanne
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On l'emmena dans le jardin pour le distraire, car Jeanne avait peur qu'il ne se rendît malade; elle ne
l'avait jamais vu dans un pareil état.
Solange demande Nannette pour son garçon.
A quelque temps de là, Solange, des Ormeaux, vint trouver Jeanne et lui dit:
«Veux-tu donner ta fille à mon Jean? Depuis qu'il est revenu de l'armée, il ne pense qu'à elle; il dit qu'il
n'y a pas une fille pareille; que, si elle le refuse, il ne se mariera pas.
--Ma Solange, il faut d'abord savoir ce qu'en dira Nannette.
--Peut-être ne se souciera-t-elle pas de demeurer à la campagne, maintenant qu'elle a tâté de la ville?
--Tu te trompes, Solange; je sais qu'elle ne sera heureuse que quand elle vivra auprès de moi; la pauvre
enfant me donne plus de la moitié de ses gages pour payer les façons de mes champs; car moi je ne
peux plus rien gagner à présent, et je crois bien qu'elle n'a pas de grandes épargnes.
--Ce n'est pas pour son argent que mon garçon la veut; tu sais qu'il était le filleul du père Jusserand, qui
lui a acheté un remplaçant au bout de quatre ans de service, parce qu'il voulait le voir avant de mourir;
il lui a légué en mourant quinze cents francs d'argent, et, avec les champs que nous lui donnerons en
mariage, il aura de quoi vivre en travaillant.
--Mais, Solange, Nannette ne voudra qu'un homme qui vive dans notre maison et cultive nos terres.
--Justement, c'est le désir de Jean.
--Il faut te dire aussi que je voudrais bien ne pas faire encore mes partages, à cause de mes deux
mineurs, parce que les frais nous ruineraient.
--Ne t'inquiète pas de ça, Jeanne; tout le monde sait comment tu as gouverné ton bien depuis la mort de
ton pauvre homme. Vous resterez tous ensemble, et, quand tu auras un bon ouvrier dans ta maison, tu
seras enfin à ton aise.
--Ce n'est pas tout encore, Solange: j'ai mon petit Louis, qui pourrait bien ennuyer ton garçon.
Nannette l'aime comme moi, et si Jean ne pouvait l'endurer à la maison, elle serait malheureuse, et moi
j'en sortirais; car, pour rien au monde, je ne voudrais me séparer de mon pauvre simple.
--Ton petit Louis, qui est fort comme quatre, plaît beaucoup à Jean; il dit que les enfants simples sont
plus près du bon Dieu que les autres. Il en parlait encore ce matin et disait qu'il se chargeait de lui
apprendre à labourer, et qu'il était bien sûr d'y réussir. Ainsi, sois tranquille de ce côté.
--Eh bien! puisque nous sommes d'accord sur tout, il faut que tu ailles chez Mme Dumont, dire à
Nannette que j'ai besoin de lui parler, et nous saurons tout de suite ce qu'elle en pense.»
Quand Nannette fut venue, sa mère lui dit:
«Ma fille, la maîtresse Jusserand vient te demander pour son garçon.
--Oui, ma petite Nannette, dit Solange, voudras-tu bien prendre un paysan, maintenant que tu es quasi
une demoiselle?
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