Page 108 - PetiteJeanne
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J'avais beau faire double tâche et vivre seulement de pain et d'eau, je ne pouvais parvenir à amasser la
somme nécessaire pour chercher fortune ailleurs.
--Mon pauvre garçon! dit Jeanne, as-tu donc été aussi malheureux que cela?
--Ne me plaignez pas, ma mère; c'est à cette misère que j'ai dû de comprendre tout ce que vous avez
été pour moi. J'ai fait bien des réflexions pendant que je broyais ces cailloux, et mon coeur, aussi dur
qu'eux, s'est amolli par le souvenir de la façon indigne dont j'avais reconnu la bonté de Dieu, qui
m'avait donné une mère telle que vous pour le remplacer sur terre auprès de moi.
«J'appris qu'on travaillait au canal de Berry, et je me dirigeai de ce côté. Je passai dans la foule des
ouvriers sans que l'on s'inquiétât beaucoup de mes papiers. Au bout de quelques semaines d'un travail
assidu, je fus remarqué par mon chef de brigade, qui m'employa à la surveillance, et j'eus une
meilleure paye. Après la campagne, ayant quelque argent à ma disposition, je résolus de reprendre mon
tour de France, et l'on me délivra un livret et un certificat de bonne conduite.
«Mon naturel peu endurant essaya plus d'une fois de se montrer; alors je pensais aux pierres de la
route, et je contins si bien mon humeur qu'elle cessa de reparaître. Puis, en allant de boutique en
boutique, j'ai bien observé toutes les différentes familles, et j'y ai rarement rencontré une femme
comme vous, ma chère mère, et peu d'enfants qui valussent Nannette et Sylvain. Je me demandais
souvent ce que j'avais été au milieu de vous tous, et la honte me couvrait le visage de rougeur.
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