Page 98 - PetiteJeanne
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--Pourquoi donc n'en avoir pas parlé à M. le curé?

--Dame! il ne le voulait pas.

--Êtes-vous simple aussi, vous, Claude, de l'avoir écouté!

--Ce n'est pas tout, Jeanne; il a voulu se détruire déjà deux fois, parce qu'il s'imaginait nous être à
charge. Je l'en ai empêché, heureusement, à temps; mais je vois bien que, cette fois, il voulait se laisser
mourir de faim.

--Savez-vous, Claude, que c'eût été une grande honte pour votre famille d'avoir un homme qui se serait
tué! Sans compter que c'est un grand péché que de se donner la mort.»

                                   Pierre prie Jeanne de le guérir.

«Oh! Jeanne, vous qui savez tant de choses, vous pouvez bien me guérir, si vous le voulez, demanda
Pierre.

--Maman, dit Louis, il ne faut pas le guérir.

--Pourquoi donc, petit? repartit Pierre.

--Parce que tu n'aimes pas le bon Dieu.

--Qui est-ce qui t'a dit ça?

--Personne; mais tu as voulu te tuer pour ne pas souffrir, et le bon Dieu ne t'aime plus.

--Entends-tu, Pierre? c'est Dieu qui parle par la bouche du pauvre simple.»

Pendant ce temps-là, on avait fait la soupe au lait, et Pierre la mangea.

«Pierre, dit Jeanne, pourquoi, dès le commencement de votre mal, n'êtes-vous pas allé chez M. le curé,
qui est si habile et si secourable?

--Jamais je n'aurais osé lui montrer mes jambes.

--Et vous avez mieux aimé offenser Dieu en cherchant à vous détruire, et rester à la charge de votre
frère, qui n'est déjà pas trop à son aise! Je veux bien vous soigner, mais seulement quand M. le curé
aura vu votre jambe. Je vais aller le chercher.»

M. le curé, ayant développé la jambe, fut effrayé de l'état de la plaie; Pierre, qui s'en aperçut, lui dit:

«N'est-ce pas, monsieur le curé, que je ne guérirai jamais?

--Je ne vous cache pas, mon garçon, que ce sera long et difficile: un mal peut toujours se guérir quand
il est pris à temps; mais, quand on le garde pendant des années sans y rien faire, c'est quelquefois
impossible. Il vous faudra une grande patience et une grande docilité pour guérir.»

Et il lava la plaie avec soin, la pansa avec de la pommade camphrée étendue sur de la charpie, et il la
saupoudra auparavant avec du camphre en Poudre.

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