Page 95 - PetiteJeanne
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«Il est d'un grand coeur, madame, dit Nannette; s'il a quelque chose de bon, il faut que tout le monde y
goûte.»

Madame Isaure le mena dans sa chambre, lui donna des jouets et l'embrassa plusieurs fois, car il était
vraiment charmant; il la regarda longtemps, puis il se jeta dans ses bras et pleura sur son épaule; elle ne
voulut pas qu'on le dérangeât, et il s'endormit.

«Veux-tu venir demeurer avec moi, Nannette?

--Oui, madame, j'en serai bien contente.

--Mais tu dis cela en pleurant, mon enfant; je ne veux pas te contrarier; si tu ne peux pas t'y décider,
n'en parlons plus.

--Mon Dieu! madame, dit Jeanne, nous ne nous sommes jamais séparées, et il ne serait pas naturel
qu'elle quittât la maison sans chagrin; mais, je vous l'assure, elle vient de bonne volonté; vous savez
bien que je ne voudrais pas la contraindre. Quand désirez-vous qu'elle entre à votre service?

--Quand cela t'arrangera, Jeanne.

--Alors, madame, si vous ne vous fâchez pas, elle restera chez nous jusqu'après la moisson. J'ai été
demandée pour faire le pain et la cuisine aux moissonneurs de la Tréchauderie; je voudrais bien ne pas
perdre cette occasion de gagner un peu d'argent. Nannette gardera ses frères et leur fera la soupe. Je ne
viendrai que pour coucher le soir, et encore faudra-t-il que je reparte à trois heures du matin.

--Mais, Jeanne, tu vas te tuer à ce métier-là.

--Je ne peux pas faire autrement; les enfants sont trop jeunes pour les laisser coucher seuls à la maison.

--Ne t'en inquiète pas; notre vieille bonne ira coucher avec Nannette; et toi, tu ne seras pas obligée de
faire une lieue matin et soir.»

                     La vieille bonne mène souvent les enfants au château.

Pendant l'absence de Jeanne, qui ne revenait que le samedi au soir, la vieille bonne, qui l'avait vue
toute petite et qui l'aimait beaucoup, emmenait souvent les enfants au château. Elle faisait travailler
Nannette avec elle, tout en gardant Louis. Lorsque cet enfant voyait sa marraine, il se couchait à ses
pieds et roulait sa tête sur ses genoux; d'autres fois, il prenait ses belles boucles blondes et les baisait,
ainsi que ses mains blanches. S'il survenait quelqu'un qu'il ne connût pas, il allait se blottir sous
quelque meuble. Nannette s'habitua ainsi à être séparée de sa mère, et elle lui dit en la quittant tout à
fait:

«Je viendrai vous voir bien souvent, ma chère maman.

--Ma fille, les maîtres ne se soucient guère de ces visites-là; viens le dimanche seulement.»

Jeanne cessa tout à fait d'aller en journée; elle entreprit d'apprendre quelque chose à son petit Louis,
qui passait des heures entières à la regarder sans rien dire. Elle avait bien de la peine à captiver son
attention; pourtant, quand elle le tenait par la main en lui adressant la parole, il semblait la mieux
comprendre, surtout si elle lui parlait des anges et du bon Dieu, et il revenait souvent sur ce sujet. Il
grandissait beaucoup et promettait de devenir fort comme son père.

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