Page 94 - PetiteJeanne
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«Ma chère mère, il faut donc nous séparer! je ne le pourrai jamais; j'en mourrai, bien sûr.

--Ma pauvre fille, tu n'en mourras pas. Quand j'ai perdu ton père, je ne suis pas morte, parce que j'ai
pensé à vous, mes enfants; et tu penseras à moi pour te donner du courage.

--Mais, c'est si dur d'aller chez les autres!

--Il est sûr qu'il vaut mieux rester avec ses parents, quand on le peut, que d'aller dans la meilleure des
conditions. C'est le malheur qui nous force à nous quitter, ma Nannette; mais ce ne sera pas pour
toujours. Nous sommes trop de bouches ici, et puis je ne peux rien acheter pour ta toilette; au lieu que
tout ce que tu vas gagner sera pour toi, ma fille.

--Et pour vous aussi, ma chère maman. Mais je ne pourrai jamais vivre sans vous voir.

--Si, ma fille; tu auras beaucoup d'ouvrage et tu penseras moins à nous. Mme Isaure est bien bonne; ce
ne sera pas une maîtresse ordinaire pour toi: c'est elle qui m'a donné le premier argent que j'ai touché,
qui m'a appris tout ce que je sais; elle m'a toujours protégée; tu seras même mieux auprès d'elle
qu'auprès de moi, et tu l'aimeras bien vite, je t'en réponds.»

Mais Nannette ne se consolait point; sa mère lui dit:

«Mon enfant, va voir M. le curé; il a de bonnes paroles pour toutes les peines, et tu prieras Dieu avec
lui.»

M. le curé fit dîner Nannette à sa table, et la ramena le soir à sa mère.

«N'est-elle pas bien heureuse, dit Jeanne, dans notre malheur, de trouver une place tout près de nous et
chez des gens que nous aimons tant?

--Oui, Jeanne, et elle le comprend maintenant; je vous promets qu'elle sera bien raisonnable.

--Nannette, nous irons demain chez Mme Dumont pour savoir quand on aura besoin de toi; si tu as les
yeux gonflés, elle croira que tu as oublié ce qu'elle a fait pour nous.

--Ma mère, je vais mener notre vache aux champs, ça me remettra un peu.»

                         Mme Isaure caresse l'enfant simple de Jeanne.

Le lendemain, après midi, Jeanne et Nannette s'habillèrent, ainsi que Louis, et elles allèrent chez Mme
Dumont.

Mme Isaure était dans le jardin, et avait une écharpe rouge. Louis courut à elle, la lui arracha, et se la
mit autour du corps avec une joie bruyante.

«Excusez-le, ma chère dame, dit Jeanne, il ne sait pas ce qu'il fait.

--Pauvre petit, dit Mme Isaure en le prenant dans ses bras, comme il est beau!»

Elle lui fit cueillir un abricot, dans lequel il mordit avec avidité; puis il appela sa mère et sa soeur pour
leur en faire manger.

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