Page 89 - PetiteJeanne
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Jeanne, aidée de Marguerite, ensevelit son mari avec beaucoup de courage. Le père Tixier avait tâché
de l'emmener chez lui; elle avait répondu que son devoir était de rester auprès du corps tant qu'il ne
serait pas en terre, et que son chagrin ne devait compter pour rien. Mais, quand elle vit emporter la
bière, elle eut encore une terrible convulsion, qui la laissa comme morte. Le chant des prêtres la fit
revenir à elle, et rien ne put l'empêcher de suivre l'enterrement jusqu'au cimetière. Elle prit ses deux
garçons par la main, et Louise conduisait Nannette. Tout le village les suivait, car grand Louis jouissait
d'une grande estime dans tout le pays.
QUATRIÈME PARTIE.
JEANNE VEUVE.
On fait l'inventaire.
Quelques jours après, maître Tixier vint voir Jeanne et lui dit:
«Ma fille, comme tu as des mineurs, il faut faire ton inventaire. Je t'y engage, dans ton intérêt et dans
celui de tes enfants, pour t'épargner toute espèce de désagréments par la suite. --Mais ça va me coûter
bien cher!
--C'est égal, il faut le faire; quand on suit la loi, on est sûr qu'il n'arrive rien de fâcheux.
--Voyez donc, père Tixier! si nous ne vous avions pas payé l'année de la grêle, je serais grandement
embarrassée à cette heure.
--Crois-tu donc que je t'aurais tourmentée?
--Non, mais c'est moi qui me serais tourmentée, me voyant dans l'impossibilité de m'acquitter. Je
n'aurais pas eu un seul moment de repos en me sentant des dettes.»
M. le curé fait une remontrance à Jeanne.
«Jeanne, dit un jour M. le curé, je vous trouve bien mauvaise mine; seriez-vous malade?
--Pas précisément, monsieur le curé; mais depuis que j'ai vu mon cher défunt baigné dans son sang, je
ne puis plus dormir tranquille; toutes les nuits je le vois là, étendu devant moi, et je me réveille en
criant; puis je m'agite dans mon lit pendant plus d'une heure sans pouvoir m'en retenir.
--Ce n'est pas votre corps qui est malade, Jeanne, c'est votre esprit, qui ne peut se soumettre à la
volonté de Dieu. Vous oubliez les souffrances que son Fils a endurées pour nous. Si vous y regardiez
de bien près, vous verriez que vous êtes encore mieux partagée que les trois quarts des gens que vous
connaissez. Cherchez autour de vous, et dites-moi qui a reçu plus de grâce du ciel. De pauvre orpheline
sans parents et sans pain que vous étiez, vous voilà mère de famille, logée dans la maison que vous
avez fait bâtir, ayant de quoi vivre en travaillant; et vous avez eu le grand avantage de ne rencontrer
sur votre chemin que d'honnêtes gens qui vous ont tous protégée.
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