Page 72 - PetiteJeanne
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Quand le mobilier fut rendu et mis en place, grand Louis dit à son maître:
«Votre maison est trop pleine, et cette autre là-bas s'ennuie d'être vide.
--C'est-à-dire que tu as grande envie d'y aller: c'est tout naturel, mes enfants, arrangez ça ensemble;
mais je te préviens que j'ai besoin de toi jusqu'après les vendanges.
--Est-ce que je ne serai pas toujours prêt pour vous servir, là-bas comme ici?
--Petite Jeanne, je te préviens aussi que je veux planter la crémaillère le jour où tu feras bénir ta
maison, et je ferai les frais du souper; tu m'entends!»
Jeanne emportait son linge et ses habits peu à peu, et elle les rangeait au fur et à mesure; Louise l'aidait
quand elle le pouvait, et bientôt il n'y eut plus que son lit à transporter, car grand Louis avait déjà
conduit le coffre et l'armoire de la mère Nannette. Il fut convenu que le dimanche au matin on
démonterait le lit, M. le curé devant bénir la maison le soir.
Le colporteur revient au Grand-Bail.
Le samedi, pendant le dîner, l'on vit venir une voiture attelée d'un petit cheval qui paraissait fort
vigoureux; elle s'arrêta à la porte, et il en descendit un beau jeune homme qui sauta d'un bond dans la
maison. Chacun le regarda avec étonnement; quand il vit que personne ne le reconnaissait, il ôta son
chapeau, et maître Tixier s'écria:
«Tiens! c'est le colporteur!»
Et il n'était pas difficile de le reconnaître à la cicatrice qui lui traversait le front.
«Ma foi, mon garçon, j'ai bien cru que tu nous avais oubliés; nous parlions de toi quelquefois avec M.
le curé, qui disait toujours que nous te reverrions tôt ou tard.
--Il avait raison, le saint homme! Je n'oublie point ceux qui m'ont obligé: parlez-moi de lui et dites-moi
s'il va toujours bien.
--Oui, Dieu merci, et j'espère qu'il vivra longtemps encore; mais, puisque tu nous trouves à table, mets-
toi à ton ancienne place, sans cérémonie, tout comme autrefois.
--De grand coeur, maître Tixier; mais auparavant je vais dételer mon cheval qui a grand chaud.
--C'est juste; il faut avoir soin des animaux qui nous rendent service; mais ne te dérange pas; on va
mettre ton cheval à l'abri et lui donner ce qu'il lui faut.»
Le colporteur se mit à table, et on lui apprit que Jeanne était mariée à grand Louis, et qu'ils devaient se
mettre à leur ménage le lendemain.
«Je ne vois pas votre fille aînée, ni cette écervelée de Marguerite, ni le bouvier Claude!
--Ma Solange est mariée et demeure dans une métairie tout près d'ici, qui appartient aussi à M.
Dumont; Claude a épousé Marguerite et s'en est allé dans le bourg. C'est un triste mariage qu'il a fait
là; quoiqu'il n'ait guère d'esprit, c'est un brave garçon et bien courageux.
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