Page 71 - PetiteJeanne
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«Mon père, dit Louise, emmenez-moi donc aussi: je voudrais choisir les étoffes de son lit avec elle.
--Et la petite Nannette?
--Je vais la faire bien belle et je l'emmènerai comme Jeanne emmène Sylvain.»
En chemin, le père Tixier dit à Jeanne:
«Ne va pas faire la sotte, au moins! j'entends que tu commandes tout ce qu'il te faut; d'ailleurs, je serai
là, et nous verrons bien!»
Quand ils furent chez le menuisier, Jeanne commanda une belle armoire en noyer, un lit, une table et
une huche du même bois, et le menuisier dit qu'il lui donnerait une table commune par-dessus le
marché.
«Et un moulin pour sasser ta farine?
--Notre maître, ce n'est pas bien nécessaire pour l'instant; vous me laisserez bien sasser chez vous; ce
sera un peu de peine pour grand Louis qui portera le sac, et voilà tout.
--Je ne veux point de ça; tu vas te commander un joli moulin pareil aux autres meubles; je n'entends
pas qu'il manque quelque chose à ton ménage.»
Ils choisirent six chaises en noyer, et le père Tixier acheta un petit fauteuil semblable, en disant que ce
serait pour son filleul quand il pourrait s'en servir. On alla ensuite chez le marchand d'étoffes pour
prendre les rideaux du lit.
«J'aurais bien désiré qu'ils fussent en serge verte, dit Jeanne à Louise, c'est plus cossu; mais je n'ai pas
assez d'argent.»
Elles choisirent donc une belle cotonnade rouge à raies; Louise força Jeanne à prendre une jolie
indienne à fleurs bleues sur un fond blanc pour faire l'intérieur du lit et la courte-pointe, et enfin une
bonne couverture de laine. Puis elles achetèrent aussi tous les menus ustensiles nécessaires dans un
ménage.
«Vois donc, ma Louise! j'avais apporté deux cents francs, et il ne m'en reste plus que dix. Que ça coûte
donc de se mettre à son ménage!
--Que veux-tu, ma pauvre Jeanne? on ne s'y met qu'une fois dans la vie. Mais tu es si propre, si
ménagère, que tout ton mobilier aura toujours l'air neuf.»
Jeanne chargea une habile ouvrière de faire ses rideaux ainsi que la garniture de son lit, et demanda
qu'on les lui rendît le plus tôt possible.
«Pourquoi donc tant te presser, Jeanne! tu as bien le temps de te mettre à ton ménage.
--Non, je n'ai que le temps bien juste; avec mes deux enfants je ne fais plus rien chez vous, c'est à
peine si je gagne le pain que je mange; il faut que ça ait une fin et que j'aille dans ma maison entre la
moisson et les vendanges, au temps où grand Louis n'est pas occupé.»
Jeanne déménage peu à peu.
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