Page 70 - PetiteJeanne
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«Est-ce que tu comptes mettre dans ta belle chambre le vilain lit de Jeanne et son vieux coffre? Ce sera
joli! Tout le monde se moquera de toi: ils diront qu'au dehors tu fais le faraud avec ta maison qui n'est
pas faite comme les autres, et qu'au dedans tu n'as pas seulement de quoi te coucher.

--Tu as bien raison, ma Louise, et j'y pense depuis longtemps. Je sais bien que Jeanne a envie d'un
mobilier neuf, quoiqu'elle n'en dise rien; et moi je ne suis heureux que quand elle est contente. Il nous
faudrait un lit, une armoire et des chaises cirées; son vieux coffre servirait de huche à pétrir le pain.

--Et où donc veux-tu qu'elle mette le linge que vous quitterez toutes les semaines, quand elle l'aura
passé par l'eau? Il y aura trop de choses dans le grenier pour l'y placer, et tu ne veux pas, j'espère, le
voir traîner dans la maison.

--Mais, Louise, crois-tu que ce serait bien d'acheter du mobilier, quand je dois tant d'argent à ton père?

--Allons, dit maître Tixier, le voilà encore là-dessus! Mais puisque je t'ai dit, têtu, que je te le ferai
gagner! tu l'aurais là, dans le creux de ta main, que je n'en voudrais pas: c'est une récompense que je
veux te donner, moi! es-tu donc trop fier pour la prendre tout simplement? D'ailleurs, tu sais bien que
je ne refuse pas d'obliger un ami dans l'embarras; seulement je veux être remboursé au jour dit, car
j'aime l'exactitude avant tout.

--C'est bien ça qui me tracasse; car si je venais à mourir avant de vous avoir remboursé!

--Eh bien! je prendrais un de tes champs en payement; ainsi n'en parlons plus, ça m'ennuie. Ah! écoute
donc ce que je vais te dire: Prévôt, de la Bordinerie, n'a pas voulu me croire quand je lui disais:
«Fauche tes prés, tu laisses trop mûrir ton foin; tes seigles auront besoin d'être coupés avant que tu aies
fini ta fauchaison, et tu te trouveras dans l'embarras; tu ne sauras auxquels aller; et, si le temps se
mettait à la pluie, comment ferais-tu?--Bah! père Tixier, me répondait-il, vous voyez toujours tout en
noir; parce que vous êtes plus vieux que moi, vous voulez avoir raison sur tout.--C'est que, Prévôt, j'ai
fait plus d'une bêtise dans ma vie, et je sais ce qu'il en coûte! Tu ne veux pas m'écouter, eh bien, tu
verras!» Ça n'a pas manqué; voilà le temps qui menace; il a été obligé de prendre le double de monde
pour faucher et pour faner, et il est venu demander à Étienne la grande voiture à échelles et les
juments; mais j'ai défendu de rien lui donner. Il a fait la sottise, il faut qu'il la boive.

--Notre maître, dit grand Louis, quand Prévôt est venu vous dire, l'an passé, qu'il avait quelques bonnes
bouteilles de vin blanc que sa défunte tante lui avait laissées, et qu'il fallait venir les boire avec lui, je
me souviens que vous n'y avez pas manqué.

--C'est vrai, et c'était du fameux vin, encore!

--Pourquoi donc ne l'aideriez-vous pas à boire sa sottise aujourd'hui, comme vous l'avez aidé à boire
son vin l'an dernier?

--C'est juste, grand Louis; j'ai tort, et tu as raison. Il faut aider Prévôt, qui court grand risque de perdre
ses foins. C'était mal, ce que je disais là. On a beau faire, ce chien d'orgueil revient toujours! Tu
prendras tes juments et ta voiture à ridelles, et tu travailleras pour lui tant qu'il n'aura pas serré son
fourrage.»

                                Jeanne va commander ses meubles.

Le jeudi suivant, maître Tixier emmena Jeanne en ville pour acheter ses meubles.

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