Page 60 - PetiteJeanne
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une petite éponge à Jeanne en lui recommandant de s'en servir pour mouiller le linge sans l'ôter, quand
il serait sec; il dit au père Tixier que, s'il voulait guérir, il fallait rester au lit sept ou huit jours.

«C'est bien difficile, monsieur le curé; il y a tant à faire ici!

--Il faut pourtant rester tranquille; vous n'êtes plus jeune, mon ami, et les plaies aux jambes ne
guérissent pas facilement à votre âge. Si vous ne voulez pas être infirme pour le reste de vos jours,
restez en repos comme je vous le dis.

--Et comment donc faire?

--Ne vous tourmentez pas, notre maître, dit Jeanne; est-ce que grand Louis n'est pas là pour faire ce
que vous commanderez? Soyez tranquille, restez au lit une bonne huitaine, et rien n'en souffrira dans la
maison.»

                    Il vient un officier en remonte marchander les juments
                                            de maître Tixier.

Un matin, maître Tixier, qui ne marchait pas encore, était assis dans son fauteuil auprès de la porte; il
vit venir à lui un grand officier de cuirassiers, suivi de son maréchal des logis.

«Tiens! s'écrie-t-il en voyant le maréchal des logis, c'est Étienne Durand, de la Tréchauderie!
Comment se fait-il que tu sois dans le pays, mon garçon?

--Parce que j'y suis venu avec mon capitaine, que voilà. Nous achetons des chevaux pour le régiment,
et je me suis souvenu que votre écurie était toujours bien montée.

--Jeanne, va tirer du vin, et du meilleur! Monsieur l'officier, vous allez boire un coup.

--Merci, mon brave homme, je suis très-pressé. Faites donc sortir vos chevaux de l'écurie, s'il vous
plaît.»

Jeanne appela son mari, qui amena les quatre juments devant la porte.

«Voilà de belles bêtes, dit le capitaine, je n'en ai pas vu de semblables dans tout le pays.»

Et il se mit à les examiner, à les faire trotter, galoper; il rentra pour en faire compliment à maître Tixier
et lui demanda combien il voulait les vendre.

«Ma foi, monsieur l'officier, je ne me soucie pas de m'en défaire; ce sont de braves bêtes sans défauts,
et je ne les remplacerai jamais; et puis, sans vous offenser, ce serait trop cher pour vous: on ne donne
pas des chevaux de ce prix-là aux soldats.

--Vous voulez donc les vendre bien cher?

--On m'a offert douze cents francs de la grise et trois mille francs des trois autres ensemble.

--C'était bien payé; mais ce n'est pas seulement pour mes hommes que j'achète des chevaux; je suis
quelquefois chargé par mes camarades de leur trouver quelque belle bête, et justement mon colonel m'a
demandé un beau cheval de bataille; ainsi, nous ferons affaire ensemble, si vous le voulez.

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