Page 55 - PetiteJeanne
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--Vous avez tort de vous fâcher, grand Louis. Si je voulais me marier, je ne pourrais trouver mieux que
vous. Mais la maîtresse est dans son lit, incapable de rien faire, et la pauvre femme n'a aucun espoir de
guérir; Solange ne tardera pas à être demandée en mariage et à quitter la maison; Joséphine n'a que
dix-sept ans, elle est trop jeune pour soigner sa mère et tout: je ne peux donc pas quitter nos maîtres,
que j'aime tant; il y a quelque chose au-dedans de moi qui me dit que, si je le faisais, ce serait mal.

--Qu'à cela ne tienne, ma Jeanne, nous resterons ici; on ne demandera pas mieux que de nous y garder.

--Peut-être bien, grand Louis; mais les enfants viendront, et, quand on a des enfants, il faut être à son
ménage. On a déjà bien de la peine à vivre toujours d'accord avec ses proches parents; c'est bien pis
chez des étrangers. Mais pour vous prouver que je fais grand cas de vous, si vous voulez m'attendre, je
vous promets de ne pas me marier à un autre; je n'ai que vingt ans, vous n'en avez pas encore vingt-six,
nous avons du temps devant nous.

--Comme tu voudras, Jeanne, quoique j'eusse mieux aimé nous marier tout du suite.»

Maître Tixier, qui cherchait grand Louis, entra dans la boulangerie comme la petite Jeanne finissait de
parler, et, comme elle était fort rouge, il dit à son laboureur:

«Pourquoi la brusques-tu encore? Qu'est-ce qu'elle n'a pas bien fait?

--Notre maître, il ne faut pas vous fâcher contre lui; il ne me brusquait pas, au contraire.

--Oui, maître Tixier, je lui demandais si elle voulait se marier avec moi, et elle dit que nous avons bien
le temps.

--Et elle a raison; vous avez bien le temps de vous mettre dans la peine; mais tu n'es pas dégouté, dis
donc! de vouloir prendre Jeanne pour ta femme!

--Vous voulez vous moquer, notre maître, répliqua Jeanne; grand Louis peut bien choisir parmi toutes
les jeunes filles du pays, il ne sera pas refusé.

--Et pourquoi le refuses-tu donc?

--Je lui ai donné mes raisons, et il les comprend bien; et puis nous mettrons un peu d'argent de côté
d'ici à quelques années, et après, nous verrons.

--Tu as raison, ma Jeanne; allons, grand Louis, puisque les accords sont faits, laisse-la tranquille, et
retourne à tes juments.»

                       Maître Jusserand, des Ormeaux, vient demander
                                                  Solange.

Solange était devenue une fille bien propre, bien soigneuse; depuis six mois elle n'allait plus aux
champs; elle remplaçait sa mère à la maison, où elle aidait à Jeanne. C'était elle qui vendait au marché
le beurre et la volaille, et qui achetait tout ce qui était nécessaire dans le ménage; elle avait si bien
profité de tout ce que Jeanne lui avait appris, qu'il n'y avait pas dans les environs une seule fille de
métayer qui la valût. Guillaume Jusserand, de la ferme des Ormeaux, désirait vivement l'épouser; mais
il n'avait pas encore tiré à la conscription, et il n'osait faire connaître ses intentions, parce qu'il savait
bien que maître Tixier ne voudrait pas de lui pour gendre tant qu'il n'aurait pas satisfait à la loi. Enfin

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