Page 56 - PetiteJeanne
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le tirage se fit, et Guillaume eut un bon numéro. Dès le lendemain, il vint en grande cérémonie, avec
son père et sa mère, pour demander Solange en mariage.

«Tu es bien jeune pour te marier déjà, mon garçon, lui dit le fermier.

--Tant mieux, maître Tixier, je travaillerai plus longtemps, et je pourrai amasser quelque chose pour ne
pas être à charge à mes enfants quand je serai vieux.

--Je vais appeler Solange pour savoir ce qu'elle en dit.»

Elle, qui s'était bien douté du motif pour lequel Guillaume était venu, s'était sauvée dans la
boulangerie, où elle avait mis un bonnet blanc et un joli fichu; quand son père l'appela, elle entra en
baissant les yeux, et, après avoir dit bonjour à tout le monde, elle s'assit au bout du banc.

«Sais-tu bien ce que Guillaume demande?» lui dit son père.

Solange ne répondit pas, mais elle baissa la tête et devint rouge comme une cerise.

«Ha! ha! il paraît que tu t'en doutes. Qu'en dis-tu? veux-tu te marier?

--A votre volonté, mon père.

--A ma volonté, à ma volonté! mais je ne veux pas te contraindre. Guillaume est un brave garçon à qui
l'ouvrage ne fait pas peur; maître Jusserand est un digne et honnête homme; enfin vous aurez quelque
chose tous les deux: mais encore faut-il que cela te convienne!

--Si ça vous convient, mon père, ça me convient aussi.

--Allons! allons! c'est bon. Si Guillaume ne te plaisait pas, tu saurais bien le dire. Eh bien! maître
Jusserand, puisque c'est ainsi, nous irons dimanche de bon matin chez le notaire pour parler du
contrat.»

Pendant ce temps-là, Jeanne avait demandé la clef de l'armoire à la maîtresse, qui la gardait toujours
sous son oreiller: elle en avait tiré une nappe bien blanche et l'avait mise sur la table; puis elle avait
pris des verres bien nets sur le dressoir, car elle les lavait toujours après les repas. Comme elle avait
chauffé le four le matin même, elle servit une bonne galette au fromage; elle la faisait si bien qu'on
n'en mangeait pas de meilleure chez les pâtissiers de la ville. La compagnie but un coup, et l'on convint
que le mariage se ferait bientôt.

                                  On fait une belle noce à Solange.

On fit la noce au Grand-Bail; maître Tixier, qui était un peu vaniteux, invita plus de cent personnes. Il
fallait faire à manger pour tout ce monde-là, et ce n'était pas une petite affaire. On prit des femmes de
journée que la maîtresse commandait de son lit; car, quoiqu'elle fût infirme, rien ne se faisait dans la
maison sans son avis. Jeanne préparait les viandes et faisait la pâtisserie; Solange veillait à ce qu'il n'y
eût pas de gaspillage. La noce se faisait par moitié entre les deux familles, comme c'est la coutume; les
Jusserand avaient envoyé leur part de farine, de vin, de beurre, de viande et de volailles, ainsi que de
l'huile pour les salades. La noce devait durer trois jours; tout fut prêt à temps, et les cornemuses
arrivèrent pour mener la mariée à l'église.

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