Page 39 - PetiteJeanne
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--Mon petit ami, je vais prier tout haut pour vous.»
Et le saint homme pria Dieu de toute son âme; sa voix était si douce que le malade en fut tout remué.
Quand la prière fut finie, M. le curé lui dit:
«Vous savez sans doute lire, puisque vous vendez des livres?
--Oui, monsieur, j'ai été aux écoles de charité.
--Eh bien, pourquoi ne lisiez-vous pas vos prières dans les livres que vous vendez?»
Le colporteur rougit encore sans répondre.
«Voyons-les donc, ces livres! Si j'en trouve quelques-uns qui me conviennent, je vous les achèterai.»
Il prit la boîte et l'apporta au jeune homme.
«Ah! monsieur le curé, s'écria-t-il, ne l'ouvrez pas, je vous en prie.
--Pourquoi donc, mon garçon?
--C'est que.... c'est que....»
Il n'en put pas dire davantage.
«Allons, donnez-moi votre clef.»
M. le curé découvre ce qu'il y a dans la boîte
du colporteur.
Le colporteur n'osa pas refuser sa clef à M. le curé; mais en la lui donnant il se mit à ses genoux.
«Ah! monsieur, dit le pauvre garçon, ne me perdez pas; ayez pitié de moi, ne me faites pas mettre en
prison.
--Et pourquoi vous ferais-je mettre en prison, mon ami?
--C'est que ma boîte est pleine de vilaines images et de livres mauvais, et que l'on met en prison ceux
qui en vendent.»
En disant cela il fut encore pris d'une faiblesse. Quand on l'eut fait revenir, M. le curé lui dit:
«Comment, mon enfant, avez-vous pu, à votre âge, vous décider à faire un tel commerce?
--C'est qu'on m'avait dit qu'on y gagnait beaucoup d'argent, et je voulais acheter un petit fonds d'étoffes
aussitôt que j'aurais seulement une centaine de francs.
--Eh bien, vous a-t-on dit la vérité? Avez-vous gagné plus qu'en vendant de bons livres?
--Mon Dieu non: je ne suis pas assez hardi pour faire ce métier-là; j'ai toujours peur d'être pris, et je ne
vends presque rien.
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