Page 41 - PetiteJeanne
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domestiques, il exigeait qu'ils fussent laborieux. Tous les soirs, on faisait la prière tout haut, en
commun; puis chacun allait se coucher et dormait tranquillement jusqu'au lendemain matin. Le petit
marchand les trouvait bien heureux de n'être pas poursuivis par la peur des gendarmes, car lui ne
dormait jamais que d'un oeil, tant il craignait que l'on ne devinât son genre de commerce: le pain qu'il
mangeait ne lui profitait point. Tout cela lui donnait à réfléchir. M. le curé, étant venu le voir, le trouva
tout triste.

«Est-ce que vous souffrez davantage aujourd'hui? lui demanda-t-il.

--Non, monsieur; mais j'ai bien pensé à tout ce que vous m'avez dit, et, en voyant ces braves gens si
heureux, j'ai encore plus de honte du métier que je fais. Que je voudrais donc pouvoir gagner ma vie
honnêtement comme eux!

--Et qui vous en empêche, mon garçon?

--C'est que je n'ai rien au monde que ce qui est dans ma boîte, et il faut bien que je le vende pour avoir
de quoi acheter autre chose.

--Pour combien y a-t-il de marchandises?

--Pour cinquante francs, prix d'achat.

--Eh bien, mon ami, je vous trouverai cinquante francs; je ne suis pas assez riche pour les prendre dans
ma bourse, mais j'irai quêter dans le village, et je vous réponds de les trouver. Je commencerai par
vous donner dix francs; mais il faut auparavant que vous brûliez toute votre marchandise.

--Comme vous le voudrez, monsieur le curé; d'ailleurs, vous m'ôterez un grand poids de dessus le
coeur: je ne rêve que prison toutes les nuits. Quand j'ai quitté mon père, il m'a bien recommandé de ne
pas m'y faire mettre, parce qu'on en sort toujours plus mauvais sujet qu'on n'y est entré: aussi j'en ai
une peur terrible.»

                             M. le curé brûle les livres du colporteur.

L'après-midi, M. le curé tira tous les livres et les images de la boîte du marchand; grand Louis en fit un
tas au milieu de la route; les petits pâtres le couvrirent de chaume et de menu bois, et l'on y mit le feu,
qui flamba pendant près de quatre heures. Le jeune garçon était tout triste en voyant brûler ses livres;
M. le curé lui dit:

«Est-ce que vous vous repentez de votre bonne résolution?

--Non, monsieur, je ne m'en repens pas; mais c'était là tout mon bien!

--Je vous ai promis que vous auriez vos cinquante francs.

--Et si vous ne les trouvez pas, monsieur le curé?

--Soyez tranquille, mon enfant; si je ne les trouve pas, je vendrai mon grand gobelet et mon couvert
d'argent pour compléter la somme.»

Le colporteur le regarda avec de grands yeux, puis il se mit à fondre en larmes; il n'avait pas cru qu'il y
eût des gens aussi bons que cela au monde.

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