Page 42 - PetiteJeanne
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«Que le bon Dieu vous bénisse, dit-il en joignant les mains, pour avoir eu pitié d'un pauvre garçon qui
ne le méritait guère!»

Tous les gens du bourg s'étant rassemblés autour du feu de joie, M. le curé leur dit:

«Voyez-vous, mes amis, je brûle les livres et les images de ce brave garçon, qui me laisse faire, parce
que je lui ai dit que c'était offenser Dieu que de vendre des choses pareilles; et pourtant c'est là tout son
avoir.»

                              M. le curé va quêter avec le colporteur.

Deux jours après, le petit marchand, étant assez fort pour sortir, pria Jeanne de le mener à la messe.
Quand elle fut finie, M. le curé lui demanda s'il pourrait venir avec lui quêter dans le village; le
marchand lui dit qu'il croyait bien en avoir la force; il retourna déjeuner au Grand-Bail, et à midi M. le
curé vint l'y prendre.

«Monsieur le curé, c'est moi qui veux étrenner votre bourse, dit maître Tixier.

--Ce n'est pas juste, s'écria le colporteur, ce serait bien plutôt à moi de vous donner de l'argent.

--Apprends, jeune homme, que nous n'avons jamais fait payer les gens qui mangent à notre table, et
qu'il y a chez nous du pain pour tous ceux qui en demandent. Voilà ma pièce de deux francs.»

Les trois filles de Tixier donnèrent chacune une pièce de cinquante centimes, et Jeanne, ainsi que
grand Louis, une d'un franc.

«Mon Dieu! que vous êtes donc tous généreux!» dit le colporteur.

M. le curé emmena le jeune marchand dans le bourg. En entrant dans chaque maison, il disait:

«Voilà un garçon dont j'ai brûlé toute la marchandise; il y en avait pour cinquante francs, et je ne suis
pas assez riche pour les lui rendre; je ne puis lui en donner que dix. Aidez-moi, mes braves gens, à
finir la somme; quelque peu que vous me donniez, je vous en saurai bon gré. Le mérite de l'aumône ne
se mesure pas à son importance, mais au bon coeur qui la fait.»

Et chacun donnait selon son pouvoir. M. le curé remerciait ceux qui donnaient peu comme ceux qui
donnaient beaucoup, car il savait bien que chacun avait fait tout ce qu'il pouvait. Ils finirent leur
tournée par la maison de Mme Dumont. Cette dame avait su par Jeanne l'accident arrivé au colporteur,
et lui avait envoyé du bouillon et du vin vieux pendant sa maladie. Chacun dans la maison lui donna
cinq francs, et, comme ils étaient cinq, cela fit vingt-cinq francs.

                               Le colporteur compte ce qu'il a reçu.

A leur retour au Grand-Bail, M. le curé vida la bourse sur un coffre, et dit au jeune homme de compter
ce qu'on leur avait donné; il trouva, tant en sous qu'en petites pièces, trente-deux francs soixante-
quinze centimes, ce qui, avec les vingt-cinq francs de Mme Dumont, faisait cinquante-sept francs
soixante-quinze centimes.

«Vous voilà riche, mon enfant, dit joyeusement le curé en mettant ses dix francs sur le tas d'argent; je
vous l'avais bien dit, que mes paroissiens ne me laisseraient pas dans l'embarras!

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