Page 53 - PetiteJeanne
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--Vous voyez qu'elle en a été bien punie, et la voilà à l'aumône comme Jeanne y a été; seulement
Jeanne n'était pas en âge de travailler, ce qui est bien différent.

--Moi, je n'offense personne, monsieur le curé, et je ne veux pas qu'on m'offense; aussi, quand on me
fait une injure, je ne l'oublie jamais.

--Et vous avez grand tort, car il faut toujours pardonner. Si Dieu nous retirait son soleil chaque fois que
nous l'offensons, nous n'aurions guère d'épis mûrs pour la moisson.

--Il me semble pourtant que, quand on a la conscience bien nette, on peut sans pécher en vouloir à ceux
de qui on a reçu quelque injure.

--C'est de l'orgueil, cela, maître Tixier. Personne ne peut dire qu'il ne péchera pas ni qu'il n'a pas
offensé Dieu; c'est pourquoi il faut toujours faire miséricorde à notre prochain. Le pardon profite à tout
le monde: il soulage le coeur qui pardonne; il ramène au bien celui qui a commis la faute.

--Qu'elle vienne donc à la Toussaint, monsieur le curé, puisque vous le voulez.

--Mais d'ici là, que voulez-vous qu'elle devienne, cette pauvre fille? Père Tixier, il ne faut jamais faire
le bien à demi.

--D'ailleurs, dit la maîtresse, je lui ferai broyer le chanvre pendant qu'il y a encore un peu de soleil, car
ta bergère n'est plus bonne à rien depuis qu'elle a le mariage en tête.

--Qu'il en soit donc fait à votre volonté, monsieur le curé. Allons, va chercher tes effets, Marguerite; et
toi, Jeanne, je te charge de veiller sur elle; si tu n'en es pas contente, tu la mettras à la porte.»

                                    Marguerite remercie Jeanne.

Marguerite courut au bourg chercher son paquet, et elle revint pour le souper; avant de se coucher, elle
alla trouver Jeanne à la boulangerie.

«Ma Jeanne, lui dit-elle, oublie ce que je t'ai dit, et demande-moi tout ce que tu voudras, je le ferai; tu
n'auras jamais de reproches à mon sujet, et je t'aiderai à faire ton ouvrage.

--Marguerite, je n'ai pas besoin que l'on m'aide, je fais bien mon ouvrage toute seule; sois pieuse et
n'aie plus de paresse, c'est tout ce que je te demande.

--Jeanne, il faudra que tu viennes avec moi remercier M. le curé.

--Tu peux bien y aller sans moi.

--Est-ce que je l'oserais! je n'ai pas mis le pied à l'église depuis que je suis sortie d'ici; il ne voudrait
pas seulement me voir.

--Pourtant, c'est lui qui est cause qu'on t'a reprise.

--C'est égal, je te dis qu'il ne me laisserait pas entrer chez lui.

--On voit bien que tu ne le connais guère: n'aie pas peur, il te recevra bien, quoique tu aies des torts; il
dit que ce ne sont pas les bons qui ont besoin de lui.»

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