Page 79 - PetiteJeanne
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Mme Isaure donne un enfant à nourrir à Jeanne.
Paul avait huit mois quand Mme Isaure vint voir Jeanne et lui dit:
«Je vais te donner bientôt un nourrisson, ma bonne Jeanne; ton Paul n'aura guère que neuf mois quand
tu prendras mon enfant. Je ne veux pas que tu les nourrisses tous les deux à la fois; toute forte que tu
es, tu serais bientôt épuisée; si tu veux mettre ton garçon en nourrice, je payerai ses mois.
--Merci, madame, je le sèvrerai; il est très-fort et mange déjà comme un petit homme. Je vous promets
qu'il ne prendra pas le lait de votre enfant.
--Je le sais bien, Jeanne; tu es trop honnête femme pour tromper personne, moi moins que toute autre.
Prépare-toi donc à recevoir bientôt ton nouvel enfant; nous passerons l'hiver ici pour ne pas le quitter.
Mais, dis-moi, si tu prenais une petite fille pour t'aider? Tu ne pourras pas suffire à tout.
--Madame, j'emploie déjà la mère Henri une partie de la journée; je la garderai tout à fait. La pauvre
femme est bien malheureuse et ne manque pas de courage; mais elle ne peut travailler aux champs: je
serai plus tranquille avec elle qu'avec une fillette de douze à treize ans.
--Alors je payerai la mère Henri en sus de tes mois.
--De mes mois, ma chère dame! est-ce que vous comptez me payer? Oh! vous ne me ferez pas ce
chagrin-là!
--Mais, petite Jeanne, n'est-il pas juste que tu sois payée de la peine que tu vas prendre pour mon
enfant?
--Ma récompense, madame, ce sera de vous rendre service et de m'acquitter, selon mon pouvoir, des
grandes obligations que je vous ai. Que serais-je donc sans vous? Ne me payez pas, je vous en prie!
laissez-moi vous prouver combien je vous suis attachée, et que je n'oublie pas tout le bien que vous
m'avez fait. Si vous me payiez, je croirais que vous ne faites aucune estime de moi, ajouta Jeanne en
pleurant.
--Ne te désole pas, ma bonne Jeanne; tu as raison, je ne dois pas te payer. D'ailleurs, on ne saurait
reconnaître les soins d'une bonne nourrice avec de l'argent; seulement, je tiens à payer la mère Henri;
car enfin, si je ne te donne rien, je ne puis souffrir que tu débourses quelque chose pour moi.»
Quinze jours après, Mme Isaure confia sa petite fille à Jeanne.
Les femmes du bourg s'étonnent de la propreté
de Jeanne.
Les femmes du bourg venaient souvent demander quelque service à Jeanne, qui en savait plus long
qu'elles, et qui était toujours prête à obliger. Quand elles la voyaient habiller ses enfants, elles lui
disaient:
«Comment donc, Jeanne, tu peignes tes petits et tu les laves comme s'ils étaient des enfants de
bourgeois!
--Parce qu'ils sont des paysans, est-ce une raison pour qu'ils soient sales? Voyez s'ils ont le moindre
bouton! Ce n'est pas une grande peine pour moi de laver leur petit corps tous les matins en les levant,
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