« Chez les Berrichons, une modération native, un sens pratique qui ne s’emballe jamais, une réserve prudente traduite par l’horreur de tous les excès considérés comme du gaspillage. » Honoré de Balzac 1840
Ouvrez : "Une amitié de Balzac" ► par Marcel Bouteron |
Entre Zulma Carraud et Balzac, il y a surtout les lettres, qui reprennent, en les développant, les conversations ébauchées à la Poudrerie d'Angoulême ou à Issoudun.
Dans cette correspondance, il y a un accent de vérité qu'il est rare de trouver dans les lettres de Balzac. Zulma, c'est l'amie fidèle, sincère, sûre, désintéressée, celle qui dit : "Vous me trouverez toujours quand vous aurez besoin d'un épanchement". Balzac lui avoue : "Je vous dis tout". |
Avec Balzac, elle rêve, elle s'échappe de cette trop banale réalité.
Ce qu'elle ressent pour Balzac, c'est plus que de l'amitié, c'est presque de l'amour. Ne s'avoue-t-elle pas un peu "troublée" par Honoré ? Elle lui écrit : |
Quant à Balzac, il exprime ainsi leur amitié :
"Vous êtes mon public, vous et quelques âmes d'élite auxquelles je veux plaire ; mais surtout à vous, que je suis si fier de connaître, vous que je n'ai jamais vue ni entendue sans avoir gagné quelque chose de bon, vous qui avez le courage de m'aider à arracher les mauvaises herbes dans mon champ, vous qui m'encouragez à me perfectionner, vous qui ressemblez tant à l'ange auquel je dois tant ; enfin, vous si bonne pour mes mauvaisetés ! Je vous porte une affection qui ne ressemble à aucune autre et qui ne peut avoir ni rivale ni analogue. Il fait si beau, si bon près de vous ! "
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Dédicace par Honoré de Balzac à Madame Zulma Carraud.
Saché - 10 juillet 1832 - Lettre de Balzac à Zulma Carraud - Collection : Thierry Bodin
Saché, 10 juillet 1832
Oui, j'irai vous voir, et je vous écrirai précisément le jour de mon arrivée, afin que, si les chevaux du commissaire et les vôtres sont encore ensemble, vous puissiez me faire la grâce de me prendre, car je suis toujours comme un enfant qui a besoin d'une nourrice, et je serais tout aussi embarrassé pour aller à d'Angoulême à la Poudrerie que pour aller en Chine.
Mais vous aurez un hôte bien triste, et, si mon coeur est plein d'amitié tendre et de choses douces pour vous, je suis condamné à un travail si forcé que mon attitude ressemble à de l'impertinence.
Ici je suis gêné par la vie de château. Il y a du monde, il faut s'habiller à heure fixe, et cela semblerait étrange, à des gens de province, de rester sans dîner pour suivre une idée. Ils m'en ont déjà bien étranglé avec leur cloche ! Mais j'allais retourner à Paris. Je vais donc aller vous accabler de mon amitié et faire comme les enfants qui abusent de la tendresse qu'on leur montre.
Adieu, à bientôt. Vous voir est une idée qui chasse bien des tristesses, car il est si doux, si bon d'être avec les gens que l'on aime ! J'ai grand peur d'être ramené ici par quelque intérêt dont je vous parlerai.
Mille tendresses de coeur, et ne m'oubliez ni auprès de M. Carraud, ni auprès du commissaire. J'imagine que maître Ivan va bien, que je le trouverai grandi.
Adieu.
Honoré
Puisque je vais chez vous, vous voyez que la grande dame a tort.
à Frapesle, le 18 janvier 1837
En février 1838, à bout de forces et de ressources, Balzac peut enfin aller se reposer à Frapesle. Il y fait un séjour d'un mois, au cours duquel, profitant du voisinage de Nohant-Vicq, il y va, du samedi gras 24 février au samedi 2 mars, visiter George Sand. Cette visite se prolongeant plus qu'il ne l'avait annoncé à Mme Carraud, il lui fait porter cettre lettre par le "fonctionnaire" de Nohant, le garde champêtre :
Nohant,
Au Jardies, mardi 18 décembre 1838
Mais, chère, où voulez-vous que je vous écrive, vous ne me donnez pas votre adresse à Versailles - Je hasarde cette lettre chez M. Barthe de qui j'ignore également la demeure.
En ce moment, je suis accablé d'affaires financières et de travaux littéraires qui sont entremêlés, je ne puis aller vous voir, à mon grand regret. J'ai reçu l'invitation de M. Barthe après le lundi marqué par une lenteur de la poste et j'étais précisément ce lundi là à Versailles où je vais voir quelquefois, mais bien rarement Madame de Visconti la comtesse Fanny dont Pérémet a du vous donner l'initiale.
Je vais parfois à Paris pour affaires pressées; mais je suis ici jusqu'à jeudi et j'y travaille près de vingt heures par jour, car j'ai trois journaux à emplir de littérature pour la semaine prochaine.
Ne venez que demain mercredi si le coeur ne vous manque pas, dans ces chemins. On ne peut venir que par un temps de gelée.
Ecrivez-moi votre adresse car si je vais à Versailles, je prendrai un moment dans ceux que j'aurai.
Mille tendres gracieusetés.
Honoré
Embrassez bien Ivan pour moi. Je suis à la chaîne et il faut me venir comme on va voir les animaux du jardin des plantes.
Paris, le 5 mai 1839
Cara,
J'ai quelque espérance de voir dans un couple de mois se terminer l'horrible lutte que vous connaissez entre les choses de la vie et moi. Je vous en dis deux mots pour vous rassurer et vous expliquer mon silence. Vous comprendrez tout en quelques mots. Depuis l'hiver, j'aurai fait seize volumes, ou huit ouvrages à dix mille francs pièce, et j'ai en outre préparé trois pièces de théâtre. J'aurai dans deux mois environ recouvré la liberté de ma plume, et quelque marché que j'espère acquittera la partie dure de ma dette. Ainsi je vous enverrai, dès que je le pourrai, l'argent de Borget.
Cet effort n'a pas été tenté sans des chances mauvaises, à mon âge. J'ai, depuis cinq mois, souvent failli succomber aux nuits passées, et le peu que le monde a eu de moi a été plus cruel pour ma santé que le travail; enfin, plusieurs de mes amis, et vous peut-être, pouvez croire que l'emportement et la furie du travail le plus énervant qui ait été tenté, était de l'oubli, de l'égoïsme. Ah vous ignorez que les heures de plaisir ont été plus rares pour moi que l'eau dans le désert, et que je suis tombé dans une mélancolie horrible en sachant que j'arriverais au succès et à la tranquillité, mort à tout, insensible au bonheur, et trop fatigué pour jouir du repos que j'aurai conquis.
Allons, mille tendres gracieusetés, et ne m'oubliez pas. Mes murs sont tombés aux Jardies, et je serai peut-être encore un an sans jouir de cet asyle que je me suis créé au sein des douleurs et de la misère, en croyant à des résultats qui ont fui; mais les embarras que m'ont suscité cette maison m'ont donné les restes d'énergie avec lesquels je vais achever ma tâche. Dites-moi donc comment vous allez et comment vont vos affaires. Ne croyez pas je que ne viendrai pas vous voir. Peut-être irais-je bientôt vous faire une visite de quelques jours.
Mille amitiés au Commandant, et baisez au front vos enfants pour moi.
Madame Carraud veut offrir à Balzac l'hospitalité de sa maison de Nohant-en-Graçay. De Nohant, qu'elle orthographie Nohan, à l'ancienne, partira sa dernière invitation que, par une délicatesse raffinée, elle adressera à Madame la Comtesse Ewelina Haǹska qui venait d'épouser Balzac le 14 mai 1850. Devenue veuve en 1841, elle hésita longtemps avant d'accepter ce mariage. Leur amour d'abord épistolaire est résumé ainsi par Gonzague Saint Bris : "dix-huit ans d'amour, seize ans d'attente, deux ans de bonheur et trois mois de mariage".
Nohan, le 28 mai 1850
Madame,
Je reçois à l'instant la nouvelle de votre arrivée par ma bien-aimée Sophie, et je m'empresse de vous souhaiter la bienvenue. Je suis heureuse de penser que vous êtes réunie à une famille dont vous aurez bien vite apprécié la valeur, et aussi, que j'ai quelques chances de vous voir. Mais ce plaisir a son épine, comme toutes les joies de ce monde, et j'apprends que vous et Honoré êtes souffrants. Permettez-moi de vous dire que l'air de Paris ne convient en ce moment à aucun de vous deux; il vous faut le calme de la campagne. Je bénis le Ciel qui, dans ma pauvreté, me laisse encore la possibilité de vous offrir mon petit cottage. Ce n'est point une maison princière, elle est même en partie démeublée; pourtant il y a deux chambres très habitables, et une pour une femme de chambre; le salon l'est aussi. Il y a dans la ville un excellent médecin qui, le régime et l'excellent air du Berry aidant, vous aura bientôt remis sur pied. La cuisine et la salle à manger sont pourvues de tout ce qui est nécessaire à une modeste existence et, si vous n'avez pas de cuisinière à emmener, je vous en trouverai en ville une ancienne à moi, qui connaît beaucoup Honoré et dont il doit se rappeler. Elle se nomme Victoire. Vous n'auriez donc que votre malle à apporter. Permettez-moi de recommander ce projet à vos méditations. Je crois fermement que votre retour à la santé est attaché à votre éloignement de Paris, dans ce temps d'agitations auxquelles il est impossible de se soustraire. Je suis, hélas! bien désintéressée dans la réalisation de ce projet, car je ne puis aller vous offrir moi-même l'hospitalité, et je vous verrai à peine l'un et l'autre. Je ne sais, madame, si cette offre si familière trouvera grâce devant vous, car je vous suis étrangère; mais j'aime beaucoup votre mari, et il me semble que nos âmes ont dû être en contact quelque part.
Je prends occasion de vous remercier de l'offre gracieuse que Sophie m'a répétée de votre part. Rien ne me ferait plus de plaisir que d'en user, mais ma position ne me permet guère d'espérer que je puisse jamais aller à Paris, maintenant surtout que mon jeune fils est revenu avec nous.
Laissez-moi espérer, madame, que vous voudrez bien agréer les sentiments affectueux que je sens naître en moi, et que je pourrai me dire toute à vous.
Votre servante,
Honoré et Madame de Balzac ne viendront jamais à Nohant.
Balzac, déjà abattu par la maladie, décède trois mois plus tard le 18 août 1850.