François Michel CARRAUD 1781-1864

Le Commandant François-Michel Carraud


Le 14 février 1864, le petit village de Nohant-en-Graçay conduisait à sa dernière demeure un excellent homme, extrêmement aimé et honoré de toute la commune, M. le commandant CARRAUD, officier de la Légion d'honneur, chevalier de Saint-Louis, et l'un des membres correspondants de notre Société du Berry.

Dès la matinée, les rues et la place du bourg étaient encombrées d'une foule empressée et respectueuse. Les routes voisines étaient couvertes de charrettes, de carrioles, d'équipages de maître.
Amis du grand monde, - amis ouvriers, - amis laboureurs, - tous étaient accourus de plusieurs lieues à la ronde et réunissaient libéralement leurs sympathies pour le vieux commandant, dans un suprême hommage autour de son cercueil.
La petite église de Nohant était ce jour-là trop étroite, et le pieux empressement de la foule avait peine tenir dans les limites de la place publique.
Ce digne vétéran des armées de la république et de l'empire, témoin et acteur de tous ces grands événements légendaires qui remplissent notre histoire, toujours affable et bienveillant pour ses égaux, avait su constamment être bon et facilement abordable pour les petits.

Aussi, pour ces campagnes, sa maison était-elle le lieu où l'on venait chercher, à coup sûr, l'amitié et le bon conseil. - Dans cette humble commune, toutes les améliorations matérielles, tous les exhaussements du cœur, de l'âme et de l'intelligence, dateront longtemps du précieux séjour de M. CARRAUD et de Mme  Zulma CARRAUD, l'auteur de Petite Jeanne, des Métamorphoses d'une goutte d'eau, des Historiettes, que vous avez tous lues, - et qui s'était instituée bénévolement maîtresse d'école pour les petites filles du village, et révélée, par occasion, l'un de nos bons conteurs pour l'enfance.

Nous avons reçu d'un des meilleurs amis de M. CARRAUD, de l'un de ceux qui l'ont le mieux connu, les détails biographiques suivants :
François-Michel CARRAUD, né le 24 août 1781, à Bourges, où sou père était président au grenier à sel, n'avait que seize ans quand il fut reçu à l'École polytechnique. Il en sortit avec un bon numéro, fut admis à l'École d'artillerie de Châlons, et le 23 septembre 1801, il fit partie du 2e régiment d'artillerie à pied comme sous-lieutenant, mais on le garda à l'École, à titre de professeur-adjoint de fortification.

Le lit de camp du commandant Carraud

S'étant refusé à signer le consulat à vie, soumis à une espèce de suffrage universel, il fut envoyé à son régiment, qui se trouvait alors à Parme. Il fit la campagne de Naples avec le général Championnet, puis fut détaché à Tropea, petite place forte sur le golfe de Sainte-Euphémie, pour y faire construire des affûts.
Les Anglais ayant débarqué sur un autre point, la division à laquelle il appartenait se porta vers l'ennemi, et laissa le lieutenant CARRAUD, avec une dizaine d'artilleurs, dans la place, commandée par un officier polonais, ayant une trentaine d'hommes sous ses ordres. - Une frégate anglaise vint canonner le fort, qui répondit tant que durèrent les vivres et les munitions : mais il fallut bien se rendre. - Le lieutenant CARRAUD parlementa avec le commandant de la frégate, et en obtint une capitulation honorable. Les officiers et leurs troupes devaient quitter Tropea avec les honneurs de la guerre.
- Quand les Français descendirent sur la plage, où le commandant Anglais avait fait ranger tout son monde en grande tenue, il accueillit fort courtoisement les deux officiers Français, et demanda au lieutenant CARRAUD où était la garnison. « Mais, la voici» répondit-il; - l'Anglais n'en voulait pas croire ses yeux, et regretta d'avoir perdu six semaines pour prendre quarante hommes.

L'église Sainte Marie au Clocher Tors de nos amis de Chesterfield

Les deux officiers français furent très-bien traités à bord, et on les interna à Malte. - Un an après, le lieutenant CARRAUD fut conduit en Angleterre, où il demeura prisonnier sur parole, dans la ville de Chesterfield ► (ville au Clocher Tors) - Il y resta six ans, et refusa plus d'une fois de se joindre à quelques camarades, dans leurs tentatives d'évasion. - Il avait donné sa parole; et bien qu'il crût fermement alors, qu'il ne reverrait plus la France, il ne voulut pas se parjurer. Quand la paix lui rendit la liberté, ce fut le cœur navré, qu'il rentra dans sa patrie humiliée.
Il fut réintégré dans son ancien régiment, en qualité de capitaine, grade qu'il avait obtenu à l'ancienneté, pendant sa captivité.
En 1815, il fut chargé de conduire le parc d'artillerie de l'armée à Rochefort ; - en 1816, lors de la réorganisation de l'armée, il fit partie, en qualité de capitaine en premier, du régiment de Valence; mais s'étant marié à la fin de cette année, il sollicita d'être employé dans un poste sédentaire, et fut, en 1817, adjoint à la sous-direction des forges de l'Ouest à Alençon. - L'année suivante, le baron Evan, directeur du personnel, qui connaissait et appréciait M. CARRAUD l'envoya pour être employé, en son grade, à l'École militaire de Saint-Cyr; en 1819, il y remplit les fonctions de sous-directeur des études.

Le 10 mai 1820, il fut promu au grade de chef de bataillon, et, en 1822, à l'emploi de directeur des études.En 1831, il fut nommé inspecteur de la fonderie d'Angoulême, et prit sa retraite en 1834. Il avait été nommé chevalier de la Légion d'honneur en 1817, chevalier de Saint-Louis en 1818, et officier de la Légion d'honneur en 1824.
Je me permets d'ajouter que le commandant conserva toutes ses facultés et toute sa mémoire, jusqu'à sa dernière heure, - et, ce qui est bien plus rare, toutes ses convictions.
Une anecdote fort simple en elle-même, mais qui peint parfaitement la constante modestie de M. CARRAUD me revient en mémoire. Il était camarade d'école avec le marquis de Clermont-Tonnerre. Celui-ci, devenu ministre, engagea le commandant à l'aller voir. - Le premier jour, où M. CARRAUD se présenta à ses réceptions, le ministre vint à lui, et lui serrant les mains, lui dit : «Eh bien! voyons, mon ami, que désirez-vous? que me demandez-vous?... - Rien du tout, Monseigneur. - Comment, rien! rien! Vous ne me demandez rien? - Mais non; je viens seulement pour avoir le plaisir de voir Votre Excellence...» - «Messieurs, s'écria le ministre, voilà un homme qui vient me voir, sans rien me demander, quand il sait que je n'ai rien à lui refuser! Qu'en dites-vous?...»


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